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Champs et Potagers

 

 

 

Drôles de nom pour une visite, d’autant plus que les champs sur l’Île de Sein sont vides de travailleuses depuis bien longtemps. Mais partout où se portera votre regard, vous verrez la trace de cultures sur l’île.

 

Les champs

 

Dès que vous quittez les lieux d’habitations, vous serez entourés de petits terrains cernés de courts murets de pierres sèches, à peine moussues. Les plus petits font 1 m² ; les plus grands dépassent les 30 m². La majorité d’entre eux compte 3 à 5 mètres de côtés. Cela prête à sourire le continental, et pourtant, ces petits champs ont été vitaux pour l’apport en vitamines de la population sénine, durant des siècles entiers.

 

Archive Ronan Thymeur - Les champs de l'Île de Sein

 

Carte postale : archive Pascal Gay - Ne peut être reproduite - Contacter obdm@free.fr

 

 

 

 

« La terre ». Voici un drôle de nom pour un drôle de caillou. Pourtant, dans l’imaginatif populaire, qui dit « champs » dit « terre ». Ce n’est pas vraiment le cas sur l’Île de Sein. Le caillou n’est qu’un morceau de granit qui émerge de la mer, astucieusement vêtu d’une alliance de galets et d’argile, et finement recouvert d’humus fait de sable et de poussière de goémon. Voici donc la « terre » sénane. Elle est, aux endroits les plus riches, épaisse d’un mètre de profondeur. Ailleurs, elle ne compte que quelques centimètres.

 

 

 

 

 Archive Ronan Thymeur - Vers le travail de la terre

 

Dans cette terre, les graines de végétaux sauvages ont trouvé asile. Très vite, les Sénanes ont compris que les graines domestiques pouvaient également pousser et les nourrir, ainsi que leur famille. Elles se sont mises à travailler cet humus souple comme du sable et à semer. Mais le vent et les embruns avaient vite raison de leurs efforts et tout était à recommencer. Un minimum de réflexion a amené les femmes à construire des abris de pierres d’un mètre de hauteur pour protéger leurs cultures. Les champs sénins étaient nés.

 

 

 

 

Archive Ronan Thymeur - Départ pour le champ

La terre était alors à celle qui voulait la travailler et les petits champs fleurirent partout dans l’île, de la pointe Ouest à celle de l’Est. Elle s’avançait loin en avant, et la mer souvent rongeait les contours, recouvrait l’île et détruisait les efforts. Il fallait choisir un autre endroit encore non travaillé pour se refaire un champ. Si aucun cadastre n’existe, toujours aujourd’hui, sur l’Île de Sein, c’est que le respect et l’accord tacite des habitantes vaut plus qu’un écrit chez le notaire. Il ne faut pas oublier que les Sénans considère qu’ils appartiennent à l’île et non que l’île leur appartient. Et comment compter un champ qui peut disparaître en un soir de tempête ? Les femmes partagent la terre, s’entendent entre elles et l’île vit en paix.

 

Photo Corynn Thymeur - Murs des petits champsLes champs existent encore, on voit toujours leurs contours de pierres, mais ils sont aujourd’hui en friche. Les inondations soudaines de la mer destructrices et surtout l’arrivée de couples de lapins ont sonné leur glas. C’est en 1963 que ceux-ci furent importés sur Sein, pour donner une occupation à la jeunesse de l’île. Mais les jeunes Sénans ne chassèrent pas, et  les lapins mangèrent les plantations dans les jolis petits champs éloignés du bourg. Les murets de pierres sont un peu plus bas, mais ils ont toujours leur importance. Ils coupent le vent et la pluie mêlés voulant emporter le peu d’humus posé sur le caillou. C’est pourquoi, régulièrement, les habitants de l’île viennent les remonter et garde ainsi à Sein son caractère typique d’une terre morcelée.

 Archive Ronan Thymeur - Battre le blé au fléau

Ce n’est qu’armées de bêches, de pioches, de fourches et de fléaux, qu’autrefois les Sénanes travaillaient. Aucun engin agricole n’entrait dans les petits champs. La culture est donc restée primitive de tout temps sur l’Île de Sein. Elle était essentiellement réservée aux pommes de terre, qui venaient merveilleusement bien dans cette terre généreusement fumée au varech ; et aux céréales. Blé et orge poussaient effectivement sur la terre sénane, mais le rendement était faible, l’acidité de la terre ne correspondant pas au besoin de ce type de cultures. Celles-ci étaient cependant maintenues pour garantir le pain à toute la population.

 

Archive Ronan Thymeur - Après l'effort

 

 

Le moulin

  

La passe des Milinous porte un nom évocateur : la passe des Meuneries. Ceux-ci existaient sans doute possible à l’endroit où la mer a pris le relais actuellement. Les plus vieilles des Sénanes d’aujourd’hui se rappellent encore que du temps de leurs grands-mères, elles allaient travailler la terre là-bas, en direction d’Armen, en un endroit maintenant sous la mer, que mêmes les grandes marées basses n’en découvrent plus le sol. Il ne reste de ce temps de la culture des céréales que le nom. Voilà comment un petit bout d’océan porte le nom de meunier. En fait de meunerie, il s’agissait plus probablement de « vraou », ou « braou » que de moulin véritable.

 

Photo Corynn - Arrivée de la farine passée entre les deux meules

La vraou, sur l’Île de Sein, c’était une meule à levier de type gaulois. Beaucoup plus petite qu’un moulin, elle s’actionnait à la main, faisait tourner une ronde pierre de granit mobile sur un axe posé sur une ronde pierre de granit dormante. La meule inférieure immobile avait pour nom « ar meul », et la supérieure se nommait « ar groaz ». Ailleurs en Bretagne, elle portait souvent le nom de « breo », ce qui signifie : moulin à bras.

 

Une construction de pierres était nécessaire pour supporter la vraou. Ar meul était légèrement concave et portait une rainure qui permettait à la fécule de se répandre lentement dans la caisse à farine en place pour la recevoir. Elle enserrait également en son centre la solide barre centrale de soutien de la pierre mobile. Ar groaz était percée de deux trous : un central servait à faire pénétrer le grain dans la vraou, et un sur le côté permettait de placer le levier à actionner manuellement pour faire fonctionner l’ensemble.

 

L’île comportait plusieurs vraou, qui fonctionnaient depuis l’époque gauloise, demandant une grande force et beaucoup de temps. C’est en 1876 que la mairie fit à la Préfecture la demande de construction d’un vrai moulin. Celle-ci fut accordée et le 19 mars 1877 vit l’inauguration du moulin à vent sénan. Ce progrès considérable signa la fin des vieilles vraou.

 Photo Corynn - Moulin à vent au Cap Sizun

Le principe du moulin à vent installé à l’Île de Sein, reposait également sur le système de deux meules, l’inférieur dormante et la supérieur tournante. Le vent ne venant pas toujours du même côté suivant qu’il soufflait du Noroît ou du Suroît, le meunier devait « tourner » les grandes ailes du moulin pour qu’elles accrochent le vent. Pour ce faire, le toit du moulin n’était pas fixé sur le fût de pierres, mais juste posé dessus, sur un rail de bois. Une belle et longue poutre, le gouvernail, partait du toit et s’éloignait vers le sol sur lequel elle était solidement liée à un cabestan par un épais cordage. Il suffisait de la seule force du meunier pour manier le cabestan et faire tourner la lourde toiture afin de positionner la voilure vers le vent dominant.

 

Photo Corynn - Charpente d'un moulin à vent au Cap Sizun 

Le toit était composé de 10 tonnes de bois, sans compter le poids des ailes. La qualité des bois employés était différente suivant l’utilité des différents rôles de pièces de la mécanique. La grosse poutre carrée était de chêne, alors que les rayons de la lanterne étaient de buis et que les 42 dents s’incrustant dans les rayons étaient de charme.

 

Photo Corynn - Mise en place de la voilure au moulin à vent de Brignemont

 

 

Les ailes étaient garnies de belle toile de chanvre, la même qui servait de voile pour les bateaux. Elles étaient astucieusement montées en échelles qui permettait de coincer la toile et de grimper pour facilement la serrer en cas de tempête, ou la déployer par beau temps et belle brise.

 

 

En haut de la volée d’une trentaine de marche de bois, se trouvait le mécanisme dont les gémissements n’étaient pas sans rappeler les craquements des navires. On entrait dans le domaine des deux meules de silex. Deux mètres de diamètre pour 2400 kg chacune, elles étaient les reines du lieu. Le vent dans les ailes entraînait la rotation de la lanterne qui emportait le mouvement du gros fer, enchaînant l’action de la meule mobile, permettant la naissance d’une farine plus ou moins fine, suivant qu’on serrait ou pas les meules.

 

Photo Corynn - Chevalet distribuant le grain, moulin à vent de Brignemont 

 Le meunier faisait tomber les grains dans une petite auge de bois et lorsque les ailes tournantes actionnaient l’axe central, entraînant à leur suite la ronde de la meule supérieure,  le chevalet, une sorte de petite pelle distribuant le grain entre les deux meules, caracolait. A raison de 5 ou 6 tours minutes, acquis par petit vent, on obtenait 20 kg de farine en moins d’une heure.

 

Il faut maintenant imaginer les femmes séparant le grain de la paille en battant les maigres récoltes au fléau au-dessus d’une grande voile de navire. Puis elles lançaient le grain en l’air pour le ventiler et le faire nettoyer par le vent qui faisait s’envoler la poussière pendant que le lourd grain retombait vers les mains travailleuses. Il ne restait plus qu’à emmener le froment au moulin pour l’écraser et le transformer en blanche fécule parsemée de paillettes de son.

 

De la farine recueillie à la vraou ou plus tard au moulin, les Îliennes fabriquaient un pain maison, la « kouign ». La pâte au levain était posée sur une épaisse plaque de fonte longuement préchauffée, puis recouverte d’un petit chaudron renversé. L’ensemble était recouvert d’une belle couche de braises de goémon. A la fin de la cuisson, le pain avait monté et s’était moulé le long de la paroi du chaudron. Il était couvert d’une belle croûte dorée et odorante. Les restes de farine servaient pour les crêpes, fars et autre totogènes téo (voir le chapitre Recettes). A partir des années 50, le confort apporté du continent a lentement mis fin à la cuisine au feu de cheminée en installant des gazinières dans les maisons, et l’arrivée progressive de la farine en sachet de 1 kg. C’était la fin de la cuisson du « kouign », et la fin du moulin.

 

Photo Corynn Thymeur - Fût du moulin de l'Île de Sein 

 

Il n’y a plus de vraou sur l’île, sauf certaines meules qui servent parfois d’ancrages fixes pour les bateaux au port. Le moulin, quand à lui, est encore visible de nos jours, sur l’Île de Sein. Les ailes se sont envolées depuis longtemps, et le fût est sérieusement attaqué par le temps et les intempéries, mais il élève encore fièrement son moignon de mur vers le ciel.

 

 

 

 

 

Les potagers

 

 

Construits sur le même modèle que les petits champs, et d’à peu près de la même taille, ils sont cependant plus proches des maisons, ce qui permet de les protéger des lapins gourmands.

 

 

Archive Ronan Thymeur - Discussion au potager

 

On trouve de tout dans les potagers sénans, des haricots verts à la salade en passant par les fameuses pommes de terre. L’éternel problème reste l’eau pour arroser ces plantations. Au litre d’eau de la ville le plus cher de France, il n’est guère possible d’abreuver les plantes avec un robinet qui y serait branché. L’eau du ciel est donc mise à contribution. Pour profiter de la  pluie, suivant les endroits, les Îliens ont construits des citernes, ou des récupérateurs d’eau douce avec d’ingénieux systèmes de bidons qui se déversent les uns dans les autres par un trop plein.

 

 

 

Photo Corynn - Petit potager sénan

 

 

 

Si le potager était autrefois l’apanage des femmes, il ne leur est plus réservé, et il n’est pas rare de nos jours de voir un Sénan se pencher amoureusement sur un pied de tomates ou de courgettes. Ici, pas de traitement chimique. Même l’eau de pluie n’est pas polluée, les nuages lui ayant donné naissance ayant été lavés par leur long voyage au-dessus de l’Atlantique. Les légumes sénins sont donc 100 % bio.