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MON TENDRE AMI

 

Carte postale - archive Thymeur

 

Mon tendre ami : Athéna CRAG

 

 

Tu dors. La nuit est si douce ce soir, que je n'ai pu résister au plaisir de faire quelques pas devant la maison.

 

Le murmure du ressac lancinant me ramène vers l'époque perturbée de notre amour naissant. Comme j'étais persuadée que rien au monde ne pouvait être aussi fort que notre amour. Comme j'étais jeune et naïve, comme tu étais beau et fort ! Comme je croyais t'aimer alors, mon ami.

 

Le vent marin soulève mes cheveux, provoquant une caresse. Ta pensée dans la mienne, ton esprit par le mien, notre valse d'amour se joint dans le vent. Elle entre par le fenestron pour t'envoyer un baiser dans ton sommeil paisible.

 

C'était le guerre. Nous n'en souffrions pas de trop, enfin un peu quand même. Mais qu'en a-t-il été de cette déchirure lorsque tu as pris le bateau pour rejoindre la voix libératrice de la T.S.F. et que l'absence de ton corps séparé du mien a déchiré notre bonheur dans un sursaut de douleur ? Comme j'ai appris à t'aimer alors, mon ami.

 

Notre chat Matou vient de me découvrir sur mon rocher et se frotte en ronronnant contre ma jambe. Il porte encore ton odeur et ta chaleur. Dors mon ange, je pense à toi.

 

Et ton retour, blessé dans ton corps, blessé dans ton cœur, par toutes les atrocités commises par les hommes, ton dégoût de la vie et ta rage de vivre. Le temps apaise. Moi près de toi, je me suis offerte, âme sœur de tes confidences silencieuses, jamais prononcées, mais lues tant de fois dans tes yeux clairs et profonds. Comme je voulais t'aimer alors mon ami.

 

Il fait frais. Je resserre mon châle contre ma poitrine et regagne à petits pas notre maison de granit. Je sais que tu m'y attends mon ami, dans les draps blancs chiffonnés, abandonné et ivre de rêves de paix.

 

Puis sont venus le cœur barbouillé du matin, le premier bébé, les enfants, la vie dure et difficile. Pas d'argent, peu d'argent… La pêche est un beau métier. Entre tes poissons attrapés, mes légumes cultivés, la grève nourricière, le frais goémon et le bois offert par les tempêtes et les grandes marées, nous avons tenu la barre, cap droit vers un bonheur simple de plaisirs quotidiens. Nous avons fait fi des coups de boutoir, des tourmentes et des bourrasques, nous protégeant des mauvais grains, sous le toit de tuiles noirs de nos ancêtres. Comme on s'est aimé alors, mon ami.

 

La bougie sur la table auréole de douceur ton visage tant caressé. Il est beau, tu sais. Encadré de tes cheveux couleur d'écume, il tourne vers moi une carte de rides. Je connais chacune des tiennes. Celle-là, c'est quand ta petite maman nous a quitté ; celle-ci, c'est quand on a désarmé ton bateau ; et là encore, ce sont des rides de joies, de rires, pour les enfants et les petits-enfants. Et toutes celles au coin des yeux, ce sont les miennes, celles de ta tendresse, de ton affection et de tes sentiments si précieux.

 

La Déesse de la Terre, de la Mer et du Feu irradie mon amour pour toi. Le vent, espiègle, emporte cette lettre, comme toutes les autres. Il n'est point besoin de mots entre nous. Ton regard dans mes yeux, et ta main dans la mienne suffisent à me faire comprendre que le vent est bon facteur. Nous sommes au crépuscule de notre vie. Comme je croyais t'aimer en ce temps-là, mon ami.

 

Et comme je t'aime plus encore aujourd'hui, mon amour.

 

Ta femme pour toujours,

et même après…

 

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